Ma FilleFraîche plante à la fraîche haleine,
Fleur éclose sur mon écueil ;
O toi qui de la vie à peine
Viens de franchir le triste seuil ;
Fragile enfant, jeune âme blanche,
Premier bouton de mon été,
Que Dieu suspendit à ma branche
Pour en voiler l’aridité ;
Douce ignorante de la vie,
Pur vase à la pure liqueur,
Dans mon ombre aube épanouie
Pour verser le jour à mon cœur ;
Sœur des anges au blond visage,
Qui demi-nus, aux bords du ciel,
Se bercent dans l’or d’un nuage
Sur les toiles de Raphaël ;
Esprit de quelque sphère heureuse,
Qui sur les neiges de ton corps
Gardes la trace lumineuse
Du monde inconnu d’où tu sors ;
Toi qui de cette coupe amère
Où l’homme puise et se nourrit,
Ne sais que le lait dont ta mère
Blanchit ta lèvre qui sourit ;
D’où vient, jeune âme à peine née,
Qu’arbre penché sur l’arbrisseau,
Sondant déjà ta destinée,
Je rêve auprès de ton berceau ?
D’où vient qu’à l’heure des étoiles,
Quand le sommeil est sur tes yeux,
De ton sort entrouvrant les voiles,
Je veille austère et soucieux ?
Pourtant tout te sourit, tout fête,
Enfant, ta bienvenue au jour ;
Pour baiser ta soyeuse tête
Les anges quittent leur séjour.
Ta joue a l’incarnat des roses,
Tes yeux ont la couleur du ciel,
Et tes cheveux, boucles écloses,
Sont doux et blonds comme le miel.
Sais-tu pourquoi mon âme est sombre
En évoquant ton avenir ?
Pourquoi dans mes yeux baignés d’ombre
Je sens presque des pleurs venir ?
C’est qu’à travers jeunesse et grâces,
Moi qui sais la vie et ses pleurs,
Je vois accourir sur tes traces
L’essaim des humaines douleurs.
Bientôt - peine cuisante et vive ! -
Tes dents de perle au frais émail
Feront, en ouvrant ta gencive,
Pâlir tes lèvres de corail.
Faible, sur ta mère affaissée,
Tu penches ton front abrité,
Comme une tige qu’a blessée
Le dard brûlant d’un jour d’été.
Contre le sort frêle et sans armes,
De ton mal tu te plains à Dieu ;
Et le flot cuisant de tes larmes
Ruisselle sur ta joue en feu.
Ta mère, hélas ! la pauvre femme,
Berce ton corps souffrant et cher ;
Et moi je sens pleurer mon âme
Et gémir la chair de ma chair.
Oh ! quel spectacle pour nos doutes,
Nous qu’oppresse un poids étouffant,
Que des larmes à larges gouttes
Pleuvant des beaux yeux d’un enfant !
Dieu ! ta justice est un mystère !
Les plantes, les oiseaux, les fleurs
Ainsi que nous sur cette terre,
Ne croissent point dans les douleurs.
Tout est heureux dans la nature,
Tout vient et s’en va sans souffrir ;
Et ta plus noble créature
Souffre pour naître et pour mourir !
Pourquoi faire souffrir l’enfance ?
Seigneur ! quel est ton but caché ?
Cet âge est faible et sans défense,
Cet âge est blanc de tout péché !
Pourquoi dans un même anathème,
Confondant nos jours désolés,
Des pleurs infliger le baptême
A ces beaux fronts immaculés ?
Hélas ! pourquoi te faire craindre ?
Nés pour sourire et pour aimer,
Ils sont sans force pour se plaindre,
Comme sans voix pour blasphémer.
Vêtus de leur sainte innocence,
D’un nimbe invisible embellis,
Ils vivent nus en ta présence,
Comme les anges et les lys.
Lacs de céleste azur dont l’onde
Réfléchit ta sérénité,
Ils sont encore dignes d’un monde
Jamais perdu ni racheté.
O souffrance ! breuvage austère,
Coupe pleine de châtiment
Que l’homme et l’enfant sur la terre
Doivent vider également ;
Souffrance ! ta main est cruelle,
Car tu frappes des mêmes coups
Le plus robuste et le plus frêle,
Le plus méchant et le plus doux !
*
Auguste Lacaussade*