Coucou,
Voici une nouvelle que j'ai écrite, mais on peut dire que c'est un conte, et elle n'est pas très réaliste en soi. Par contre je tiens à vous dire qu'elle est longue...et un peu triste. Bonne lecture. BisousKristen
Une pluie torrentielle s'abattait sur le Morbihan en cette journée de Novembre. Dans une petite cité nommée Rochefort en terre, quelques passants s'affairaient à trouver un abri, en attendant la fin de l'averse. Seule une jeune femme marchait lentement au milieu des allées désertes. Sa longue robe de velours noir ondulait au rythme de ses pas. Son teint pâle et ses yeux bleus gris dévoilaient de la tristesse, et ses longs cheveux détrempés faisaient d'abord penser à une cascade noircie par la misère. Elle ne devait pas avoir plus d'une trentaine d'années. Elle semblait perdue, dans des pensées lointaines. Elle s'arrêta devant chez Arletty, petite boutique de bijoux. Elle contempla la vitrine un court instant puis entra. Les couleurs ocres de l'ambre reflétaient sur les parures en argent. Le parfum de l'encens à la rose embaumait l'échoppe. La vendeuse examina du regard la jeune femme, puis demanda:
"Voulez-vous un renseignement?"
Elle ne prit pas la peine de répondre. Elle lui lança juste un regard empli de mélancolie. Puis elle s'en alla, toujours aussi tristement. Mais ce ne fut pas dans le but d'aller bien loin. Elle s'assit sur un banc, abrité par du lierre qui poussait sur le vieux muret de pierre. Une fois de plus, elle paraissait égarée au milieu de quelque songe inaccessible. Les gens passaient devant elle sans tellement y prêter attention. Bientôt, des larmes se mirent à couler sur son visage. Son regard était si affligé, qu'il attira l'attention de la vendeuse de la boutique Arletty, qui venait de sortir de son lieu de travail. La boutiquière se dirigea vers la jeune femme puis commença à lui parler: "Etes-vous sûre que tout va bien pour vous? N'avez-vous pas besoin de quelques choses?
_Si, je n'ai besoin que d'une seule et unique chose...Mais vous ne pourrez rien pour moi, alors n'insistez pas je vous prie!
_Je peux peut-être vous aidez quand même, dites-moi...
_D'accord; j'imagine alors que vous pouvez faire revenir mon pauvre mari de l'au-delà! Eh bien si vous pouviez m'aider pour ça, je m'en verrais ravie! Avez-vous d'autres suggestions à me faire?!
_Non, cependant, je tiens à vous préciser, avant de m'en aller que si vous avez besoin de quoi que ce soit, je suis toujours là, dans ma boutique. Venez me voir quand vous voulez. Je comprend tout à fait que vous soyez triste. Néanmoins, vous ne pouvez pas rester comme cela.
_Je le sais! Je vous remercie de votre générosité, mais je ne veux pas vous déranger plus que ça. Ma blessure est trop profonde pour cicatriser. Les larmes coulant sur mon visage, sont probablement le sang décoloré de mon coeur brisé à jamais.
_Ne dites pas cela, avec le temps votre peine s'estompera. Avec un peu de chance, vous retrouverez même quelqu'un dans peu de temps...
_Tout d'abord, si j'avais eu de la chance comme vous dites si bien, je n'en serais pas là! De plus, personne ne pourra remplacer Victor, il était tout pour moi.
_Je vois...Venez, suivez-moi. Avez-vous déjà entendu parler de Monsieur Granderec?
_Non, pourquoi? Qu'a-t-il, lui?
_Rien, simplement il est réputé pour son don étrange...Je ne sais pas comment vous expliquer. Et puis de toutes manières ce ne sont que des rumeurs; ça a sans doute été inventé par quelques importuns...
_Je l'ignore, mais votre proposition ne m'intéresse guère. Je ne voudrais qu'une seule chose: revoir mon mari. Or, c'est impossible, je le sais!
_D'accord, dans ce cas, je ne peux plus grand chose pour vous...Etes vous sûre de ne pas vouloir venir discuter autour d'un thé chez moi?
_Oui je suis sûre. Merci quand même. Je vous suis très reconnaissante. Je dois rentrer chez moi à présent.
_D'accord, eh bien je vous souhaite bon courage dans ce cas!" lança une dernière fois la marchande avec un air désolé.
Effectivement, il s'agissait là d'une personne pour laquelle l'entraide importait beaucoup dans la vie. Plusieurs fois, il lui était arrivé de donner une couverture à des sans abri qu'elle rencontrait ou encore réconforter quelques clients dont le coeur endeuillé, battait moins vite, et freinait le temps. Mais là, il s'agissait d'une exception. Il s'agissait d'une personne dont la vie était définitivement détruite. On ne pouvait apparemment plus rien pour elle. La jeune femme s'en allait, puis un grand coup de vent balaya l'horizon. Son visage angélique, mouillé par les larmes, avait marqué la vendeuse. A part elle, personne ne s'était arrêté pour lui demander si elle n'avait besoin de rien. C'est dans des moments comme ceux-là que l'on comprend pourquoi le monde perd de ses couleursau fur et à mesure du temps qu'on y vit.
En bas de la pente qui conduisait au village, la jeune femme disparut. Elle continua longuement sa marche, en repensant à la vendeuse.
Elle arriva bientôt vers un petit sentier qui menait à un manoir, entouré d'un grand jardin orné de fleurs, de topiaires et de rosiers. Dans ce jardin, une fontaine de marbre coulait perpétuellement, un peu comme le flot du temps galopant à travers des instants éphémères.
Elle prit la clef qui pendait à la chaîne autour de son cou. Dans un geste lent et pénible, elle ouvrit le portail, dont les murs étaient furtivement dévorés par des pousses de lierre. Elle le referma de la même façon puis s'avança dans l'allée qui menait à la porte du manoir. Il lui parut curieux de découvrir par terre un petit coeur en agate. Bien qu'elle ait perdu toute joie de vivre, elle sentit une lueur d'espoir la submerger. Curieusement, elle se rappela de ce que lui avait dit la vendeuse, à propos de ce monsieur Granderec. Quel don aurait-il? Et puis qui serait-il?
La veuve remarqua que sur le coeur en agate était inscrit son prénom: Kristen. Sa surprise doubla. De qui cela pouvait-il venir? Et surtout comment cela se fait-il que le présent se trouve en plein milieu de l'allée principale? Elle le ramassa. Un léger sourire éclaira son visage pâle, un peu comme un rayon de soleil le fait à travers un ciel orageux. Elle le regarda un instant et continua sa route vers la porte d'entrée.
Elle entra alors dans sa demeure. Il y avait toujours cette froideur à l'intérieur du manoir. Il s'agissait là d'une belle maison. Mais depuis le décès de Victor, elle était devenue invivable pour Kristen. Le mur d'un magnifique jaune pâle lui semblait d'une couleur rouille-jaunâtre. Elle distinguait la poussière qui s'accumulait à mesure des jours, notamment sur les meubles qu'elle n'avait plus le courage d'entretenir. Les tableaux accrochés au salon lui semblaient représenter des cimetières dans lesquels ses plus beaux souvenirs reposaient à jamais. Elle regarda à nouveau le coeur en agate et se dit que ça ne pouvait être de la part de Victor qui ne faisait plus partie de ce monde...Elle demeura perplexe un instant, puis posa l'étrenne sur la table en teck, à coté d'un bouquet de roses blanches fanées. Elle se déplaça péniblement jusquà sa chambre où elle y trouva Emeraude, son angora turc au magnifique pelage noir. La chatte était allongée de tout son long sur le lit de sa maîtresse. Kristen la regarda longuement puis lui dit soudain: "Ah, ma douce, tu n'as pas idée de ce qui vient d'arriver...Si seulement je pouvais être un chat comme toi...puis fuir chaque jour un peu plus, la triste réalité..."
L'animal s'avança vers Kristen puis se frotta à ses jambes en ronronnant. Emeraude leva la tête, cherchant ainsi le regard de sa maîtresse, mais ne l'obtint pas. Elle poussa alors un miaulement plaintif. La jeune femme prit la chatte dans ses bras, la cajola un instant, puis s'écroula de fatigue sur son lit à peine fait. Elle plongea bientôt dans un sommeil aussi profond que son affliction. Le soir tombait lourdement, et la lueur argentée de la lune ne tarda pas à se faufiler à travers les rideuax en dentelles, devant la grande fenêtre.
L'obscurité modifiait la représentation du tableau qui se trouvait dans la chambre. Il s'agissait du portrait des deux époux, peint à l'huile, par un artiste des plus célèbres. Dans le noir, leurs visages prenaient l'apparence de ceux de personnes que le temps avait vieillies, éteintes, tuées.
La nuit fut courte pour Kristen comme pour Emeraude. Maintenant, la jeune femme aimait beaucoup dormir car c'est quand elle fermait les yeux que tout se changeait en un monde pacifique et onirique, ou presque. Cette nuit-là, elle avait rêvé que Victor était perdu dans une forêt sombre, et qu'il criait "aux secours, ma femme est noyée aux fond des enfers!". Quand Kristen se réveilla, ce fut presque un soulagement pour elle. Il lui avait semblé qu'elle s'était endormie il y a cinq minutes. Néanmoins, l'horloge murale de sa chambre en disait autrement. Il était onze heures passé. Quelques rayons de soleil semblaient faire tomber de petites étoiles dorées sur le pelage nuit d'Emeraude, qui sommeillait toujours. Kristen se leva et se rendit dans le salon, où il lui parut surprenant de sentir un courant d'air. Elle vérifia que les fenêtres fussent bien fermées à double tour. Elles l'étaient. Elle alla donc voir si c'était le cas du coté de la porte d'entrée. Elle était grande ouverte. Elle se demanda d'abord comment cela se faisait-il. Il était vrai que depuis la veille, il se passait des choses curieuses et peu banales. Elle enfila des chaussons puis se rendit au jardin. Elle ne comprenait pas. Personne n'était au courant du drame si ce n'est que la vendeuse qu'elle avait rencontré. Puis après tout, peut-être cela n'avait-il rien à voir avec le décès de Victor...
Elle scruta alors le vaste jardin, qui étincelait sous la rosée du matin d'automne. L'herbe était humide. Les rosiers aux pétales trempés s'épanouissaient longuement. Malgré le soleil qui luisait au dessus du jardin, ce dernier lui paraissait sans vie. Les couleurs pastelles avaient beau resplendir dans les goutelettes de rosée, le monde n'avait pour elle plus aucun intéret. Mais c'est à ce moment précis que Kristen entendit comme des pas dans les feuilles d'érable, au fond de l'enceinte. Elle s'y rendit courageusement. Sur place, elle aperçut une jeune enfant qui pleurait. Elle s'avança lentement vers la fillette, lui parla doucement mais n'obtint pas de réponse. La jeune femme prit alors la petite fille dans ses bras puis l'amena jusqu'à la maison. Elle la sécha et lui prêta quelques vêtements à elle. L'enfant ne se fit pas prier pour les enfiler. Kristen alla jusqu'à la cuisine puis prépara quelques tartines pour la petite. Elle les lui amena aussitôt, puis entendit un "merci" timide. Il ne fallut pas longtemps à l'enfant pour engloutir les tartines. C'est comme cela que Kristen comprit que la petite avait faim, puis elle lui demanda: "En veux-tu d'autres?
_Non merci, c'est gentil" dit elle avec des yeux tristes.
Kristen regarda tendrement la fillette qui semblait être la sienne. En effet, elle avait les longs cheveux noirs d'une princesse ténébreuse. Ses magnifiques yeux gris semblaient déjà rongés par le sort. De plus, elle avait le teint très clair. Comme Kristen. Absolument tout comme Kristen.
Cette dernière demanda: "Alors qu'est ce qui t'amène ici?
_Je suis vraiment désolée de t'avoir dérangée! Je m'excuse vraiment...pardon!
_Pourquoi donc tu t'excuses? Tu es toute triste, et tu m'as l'air perdue...Pourquoi viens-tu t'excuser?
_Je m'excuse car je suis venue chez toi comme ça, toute seule, sans te demander. J'ai perdu mon petit coeur en agate que m'a offert ma maman avant de mourir" dit la petite en sanglotant.
A ce moment précis, tout s'éclaira pour la jeune femme. En fait, personne n'eut l'intention de lui faire de cadeau, il s'agissait en fait de celui qu'une maman avait pu offrir à sa fille. Kristen se dirigea alors vers sa chambre et se mit à pleurer elle aussi. La fillette, désolée, entendit les sanglots de Kristen. Elle marcha donc jusqu'à la chambre puis frappa à la porte. Un "vas-y, entre!" se fit entendre malgré les pleurs qui semblaient vouloir étouffer toute parole. La petite fille se blottit contre Kristen, puis lui dit: "Tu sais, tu ressembles beaucoup à ma maman. Elle a toujours veillé sur moi.
_Merci, ma douce enfant. Tiens regarde, elle s'appelle Emeraude."
L'enfant s'avança vers le petit félin puis le caressa. Quatre mots sortirent de la bouche de l'enfant: "Elle ne respire plus.
_Comment?! Que dis-tu?!!
_Je crois qu'elle est partie rejoindre ma maman..."
Kristen resta un instant sans voix puis laissa ses larmes couler, comme l'eau qui coulait dans la fontaine en marbre. Elle regarda la petite et lui dit: "Reprend ton coeur d'agate et vas t'en! Je ne peux plus rien pour toi!
L'enfant regarda une dernière fois Kristen puis s'en alla. Un silence pesant envahissait le manoir. La veuve resta là, muette, immobile, raide. Elle n'avait plus la force d'aller enterrer sa pauvre bête. Alors, elle lui lança encore un regard affligé, puis une idée la submergea. Une idée sans forme ni couleur. Une idée noire. Elle dit soudain à sa chatte:"Je vais te rejoindre ma belle, on sera mieux toutes les deux! Puisque personne ne s'intéresse à moi ici-bas et que Victor et toi me manquez déjà, il ne me reste que cette solution..." Elle se précipita dans le jardin, puis respira profondément le parfum des roses, avant de cueillir trois belles orchidées. Puis elle alla jusqu'à la cuisine, puis s'empara d'une bouteille d'eau de vie dans laquelle elle laissa tremper les orchis. Elle prit peu après l'initiative d'enterrer Emeraude. Elle entra alors dans sa chambre afin de prendre l'animal dans ses bras, chose que jamais plus elle ne pourra faire. Mais la chatte n'était plus là, elle avait disparu. Elle chercha Emeraude partout dans le manoir, avec l'espoir d'entendre son miaulement doux et mélodieux. Elle fouilla la chambre, la cuisine, le salon, toutes les pièces, mais ne la trouva pas.
Kristen s'effondra en larmes. Elle avait perdu son mari, mais aussi l'angora qu'il lui avait offert. Elle avait tout perdu. Il ne lui restait plus qu'une seule conviction. Elle n'avait plus aucune croyance en l'espoir. Il ne lui restait que l'image d'un monde souillé par le deuil.
Pourtant, elle repensa une fois de plus à la vendeuse, qu'elle avait rencontré la veille. Mais sachant que cette dernière ne pouvait rien pour elle, elle replongea dans ses idées noires et retourna vers la cuisine. Elle prit la bouteille dans ses mains puis bu son contenu. Elle sentit bientôt ses forces la quitter, puis elle voyait toute sa vie défiler devant ses yeux. Ses plus beaux souvenirs rejaillissaient en elle. Les plus beaux jours de sa vie fleurissaient à nouveau dans ses yeux gris. Les agréables miaulements d'Emeraude se firent entendre à nouveau par son coeur de femme blessée. Enfin, elle se souvint de sa tendre enfance avec sa mère qu'elle aimait tant. Elle revit le coeur en agate au milieu du vaste jardin d'un vieux chateau en ruines, où elle avait passé le début de sa vie. Là où sa soeur mourut de la même façon. Sa toute dernière pensée fut que sa destinée devait s'achever là. Elle avait eu le dernier mot, le dernier geste aussi, qui fit d'elle l'héroïne d'un drame.
Les trois orchidées symbolisaient dans l'ensemble la tragédie. Le passé, le présent et le futur réunis ont aidé à la mort de Kristen. La vie, quoi qu'on fasse, se finit pareil pour tous. Elle est éphémère et ne se base que sur trois éléments qui ont mis fin aux jours de l'héroïne de cette histoire. A savoir, les plus beaux souvenirs que la vie ait pu nous offrir, l'instant présent, et les mystères que nous réservent les lendemains, parfois sans promesse.